Architecture de la Transjurane dans le Canton du Jura
Le retard fut une chance pour sauvegarder l'image du Jura.
Aussi paradoxale que celle-ci puisse paraître, la frustration d'être resté si longtemps à l'écart des grands axes de développement s'est transformée en une véritable chance pour le Jura. Au cours du XXe siècle, le réseau national s'était construit sans véritables contraintes environnementales. On a ainsi « massacré » des paysages de haute qualité.
Les nouvelles dispositions fédérales édictées en matière de protection de l'environnement ont permis une meilleure intégration des projets routiers dans l'espace naturel. La Transjurane en a parfaitement bénéficié et su en tirer profit.
«Je pense avoir donné une âme à l'autoroute, chaque élément est cohérent et relié au tout pour lui donner une nouvelle identité», Renato Salvi, 1998, Journal Le Temps
UN CONCOURS POUR L'INTÉGRATION DE L'A16 DANS LE PAYSAGE
Dans le canton du Jura, la Transjurane est devenue, au fil du temps, un vecteur d'identité, renforcé par le fait qu'il s'agissait de l'une des premières routes nationales à intégrer les études d'impact et la dimension « intégration dans le paysage ».
Dans ce contexte, l'idée d'associer un architecte aux ingénieurs s'est forgée naturellement, afin de conférer une dimension esthétique et une vision unitaire de cette route qui allait marquer le territoire jurassien de son empreinte. Les autorités politiques et l'Office fédéral des routes ont accepté de s'engager dans la voie du concours, sur un projet de longue haleine, s'inspirant de l'exemple tessinois où l'architecte Rino Tami a été associé à la réalisation de l'autoroute du Gothard.
L'esquisse pas très heureuse d'une centrale de ventilation et d'un portail de tunnel a donné le déclic à l'initiative du concours, qui s'est porté sur les centrales et les portails des deux tunnels du Mont-Terri et du Mont-Russelin, entre Courgenay et Glovelier, sur décision du Gouvernement jurassien à fin 1987.
Ouvert à tous les architectes suisses, un concours sur invitation avec inscription préalable a été retenu. Les concurrents devaient démontrer par leur expérience et leurs références leur aptitude à traiter des objets routiers, des centrales, des tracés, des ouvrages d'art, tant sur le plan technique que de l'aménagement paysager et esthétique. Vingt candidats ont été retenus pour participer au concours. Quatorze projets ont été déposés à l'échéance du 5 décembre 1988.
Le premier prix a été attribué au projet « Saint-Christophe », fruit des réflexions d'une communauté d'architectes composée de MSBR SA, Delémont, R. Salvi, P. Minder, F. Ruchat-Roncati, Zurich. De l'avis du jury, le projet primé s'est détaché sans discussion des autres projets. Les résultats de cette démarche sont visibles sur l'ensemble du tracé de l'A16 de Boncourt au portail nord du tunnel de la Roche Saint-Jean.
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L'autoroute est conçue consciemment, comme un apport au paysage, et non comme une nécessité, ou pire encore, comme une fatalité subie. Mais elle revendique au contraire une valeur paysagère ajoutée. Il ne s'agit donc pas de se fondre dans le paysage, mais de s'en démarquer, tout en s'y intégrant. La topographie génère la disposition routière, offrant à l'automobiliste des points de vue inattendus; elle offre une nouvelle perception du territoire à des échelles diverses, que l'on soit automobiliste ou promeneur. Ainsi, les portails et les centrales de ventilation seront conçus pour être perçus par les automobilistes à une certaine vitesse. Parfois, ces éléments sont invisibles hors de la route, ou au contraire ponctuent le paysage aussi pour le promeneur. Constituée d'une succession d'évènements, tels que portails, tunnels, centrales de ventilation, viaducs, ponts, murs, talus, glissières de sécurité, l'A16 devient à son tour paysage, donnant au Jura une nouvelle identité.
Recherche d'un vocabulaire
À l'intention initiale de créer un unique dessin par exemple, pour l'ensemble des centrales de ventilation et portails, s'est substituée une recherche de « formes » plus adaptées à chaque topographie différente, à chaque pente et dévers du tracé, à chaque angle d'attaque de la montagne, mais toutes reconnaissables comme faisant partie d'une seule entité.
La montagne comme force vivante
L''anneau qui compose les tunnels est d'apparence constante et lisse. Cependant, son épaisseur structurelle varie en fonction des couches géologiques qu'il traverse : fine dans les roches dures, ou très épaisses pour résister aux pressions des roches marneuses. Partant de cette donnée technique, j'ai imaginé un instant inverser la statique, afin que l'automobiliste puisse prendre conscience de la force de la montagne, des efforts qu'elle exerce sur l'anneau et qu'il ressente le pouls de la montagne.